Ce qui est sûr, c’est que l’instabilité gouvernementale et la situation quasi-chaotique dans laquelle se trouve le camp macroniste et ses alliés n’empêchent pas aux différents secteurs du monde du travail de revendiquer leurs droits. Quand bien même les ministres auxquels ils s’adressent sont démissionnaires, re-démissionnaires, qu’importe. Le secteur culturel n’échappe à la règle, et nous avons parlé à plusieurs reprises dans Espaces de la situation que traverse le monde de la culture à grands coups de coupes budgétaires de la part de l’État.
A Lille, le 2 octobre dernier, journée nationale de mobilisation à l’appel de l’intersyndicale, les musicien·nes de l’Orchestre National de Lille se sont saisis d’un concert prévu le soir-même pour alerter sur leur situation. Déclaré·es grévistes, les musicien·nes ont malgré tout tenu à assurer leur spectacle. Une prise de parole a été effectuée avant le concert, « en commun » avec la direction. « Depuis 14 ans, les subventions accordées à l’ONL sont stagnantes », rappelle Bernard Bodiou, délégué SNAM-CGT à l’ONL, auprès d’Espaces. « Ces dernières années, la ville de Lille et la Région nous enlèvent des sous. Il y a une vraie crise économique qui s’illustre par 13 postes vacants : ceux qui partent ne sont pas remplacés. »
Une situation toujours inquiétante
En décembre dernier, le syndicaliste décrivait déjà dans nos colonnes une situation « extrêmement inquiétante ». Force est de constater que, près d’un an plus tard, celle-ci n’a pas vraiment évolué. « L’auditorium du nouveau siècle est en travaux. Donc, nous n’avons plus de salles de concerts, on est obligés à faire notre saison hors les murs, ce qui entraîne énormément de frais de location, des jauges beaucoup plus petites et donc beaucoup moins de recettes. »
Forcément, cette situation impacte les possibilités de mobilisations. « Énormément de musiciens voulaient faire grève », reprend Bernard Bodiou. « Mais vu la situation, les musiciens ne voulaient pas non plus mettre leur orchestre en danger. On a donc décidé de faire grève mais de jouer. 46 musicien·nes se sont déclaré·es en grève, c’est un beau score. L’argent qui n’a pas été récolté par les musicien·nes sera versé à des caisses de grèves. »
L’occasion de frapper un premier poing sur la table, même si la suite est incertaine. « La solution ne va arriver du jour au lendemain. Nous n’avons pas de salle, toujours pas de directeur… On est dans l’attente, on défend notre bout de pain, la musique, parce que c’est notre métier et parce que la culture est délaissée. »
Un problème national
Le syndicaliste tient cependant à « ne pas trop taper sur la Région » : « L’État baisse énormément les subventions aux régions tout en augmentant les charges, donc les régions ont moins d’argent. Forcément, elles se sentent obligées de taper dans tous les budgets. Toutes les régions baissent la culture, le plus spectaculaire étant dans les Pays de la Loire [où près de 70 % du budget de la culture a été coupé en 2024, ndlr]. Dans les Hauts-de-France, la baisse a été plus limitée ».
S’il lui est difficile de vraiment garder espoir, Bernard s’accroche : « On a un orchestre plein de ressources, malheureusement ça ne suit pas. Mais on voit que dans d’autres orchestres ailleurs, ça se passe mieux. On aimerait que ça soit pareil chez nous. »
A Aix-en-Provence, une grève « antifasciste«
Si la lutte à l’Orchestre National de Lille promet d’être difficile, les artistes mobilisé·es ne lâcheront pas l’affaire. Tout comme leurs collègues d’Aix-en-Provence, le 6 octobre dernier, où ce ne fût pas le maintien d’un spectacle mais bien l’arrêt de celui-ci qui fût au cœur de la victoire : la « Nuit du Bien Commun », événement caritatif de l’extrême-droite française (notamment fiancée par le milliardaire Pierre-Edouard Stérin), n’a pas eu lieu. Les roadies, technicien·nes qui assurent l’installation du matériel, se sont mis·es en grève. Ils étaient 8 ce soir-là, devant le 6MIC, à refuser de travailler pour la philanthropie réactionnaire, et à se mobiliser pour davantage de moyens dans la culture. Maxime Séchaud, secrétaire général adjoint de la CGT spectacle présent à Aix ce soir-là, nous fait le récit de cette soirée mouvementée : « Je ne faisais pas partie des grévistes mais j’étais là en soutien, comme une quarantaine d’autres personnes, précise-t-il. Les 8 roadies se sont mis en grève en arrivant à leur poste et ont installé leur piquet de grève sur le plateau. Leur grève a ralenti le montage de la scène. Ça a été bon enfant jusqu’à 16 heures, 17 heures, puis les grévistes ont subi des coups de pressions, ont été pris en photo. Les policiers ont débarqué en masse. Je suis donc arrivé sur le piquet de grève et j’ai prévenu que s’ils intervenaient, ce serait une entrave à la grève. Nous étions dans notre droit. Ça les a rendu dingue. Après négociations, ils ont décidé d’annuler la soirée ».
Une manifestation contre la soirée était également organisée non loin du 6MIC et a réuni environ 200 personnes (de différents collectifs antifascistes mais aussi de la LDH).
Une nuit bien peu commune… pour ses organisateurs
Les organisateurs de la Nuit du Bien Commun attendaient environ 800 personnes. Sur les réseaux sociaux, l’entreprise caritative fustige les « anti-riches » et se félicite d’une levée de dons de 260 210 euros de dons via … un live YouTube, à destination de plusieurs associations dont certaines sont bien connues de ce genre d’événements (dont Le Rocher, association fondée par la communauté catholique traditionaliste de l’Emmanuel).
« Ils se vantent sur les réseaux sociaux qu’ils ont pu faire leur soirée, mais ça n’avait rien à voir avec ce qu’ils avaient prévu de base, ironise Maxime Séchaud. Après cette victoire, le syndicaliste l’affirme : « il faut que ces soirées n’aient pas lieues, et nous appelons l’ensemble des organisations et militants antifascistes à former un front commun contre ces événements d’extrême-droite ». Car la lutte antifasciste et pour la sauvegarde de la culture sont liées. « Le combat est plus large. Le 6mic, c’est un lieu avec une mission de service public et à cause du manque de financements, la direction a été obligée de privatiser la salle pour cette soirée. Quand on parle privatisation, on parle de l’extrême-droite qui investit les lieux culturels. »
Et le syndicaliste de citer également le milliardaire réactionnaire Vincent Bolloré : « Un travail va être mené contre Bolloré, car il va racheter des parts à l’UGC, et il a déjà 2 salles de spectacle… »
Une chose est sûre : « Il y a un combat à mener pour sauver nos outils de travail. On va s’investir pleinement dans la lutte contre l’extrême-droite sans aller contre ce qu’on fait habituellement car c’est imbriqué. »
Gouvernements en place ou pas, les problématiques du monde de la culture restent les mêmes, et les besoins de se mobiliser aussi.