Déplacements forcés des Gazaouis : « Fuir son foyer, c’est comme voir son âme quitter son corps! »

Dans ce 2e article, la jeune journaliste gazaouie Sarah Emad raconte les déplacements forcés, la terreur, mais aussi l’espoir de rester en vie.

J’écris ces mots alors que les obus tombent tout près de moi, et que les chars déversent leur feu dans toutes les directions autour de nous. Je ne suis pas prête à un nouvel exode, ni à une nouvelle évacuation, ni à affronter encore une fois une armée, des chars, des tirs et des bombardements. Je suis un être humain, pas une cible militaire.

Tout ce dont je rêve, c’est de vivre.

D’ouvrir les yeux le matin sans entendre le bruit de la mort et des explosions. De serrer ma famille dans mes bras sans peur. Deux années de ma vie se sont évanouies dans la fuite et la résistance quotidienne, simplement pour rester en vie. Il n’y a plus d’autre choix que la mort. Nous n’avons plus aucun refuge, aucune possibilité de survie dans notre ville. Nous faisons face à une réalité dure et catastrophique. Je vous écris alors que je suis contrainte de fuir pour la dixième fois depuis la reprise de la guerre, tandis que les obus d’artillerie ne cessent de pleuvoir. Je n’ai pas honte d’avouer que j’ai peur. Oui, j’ai vraiment peur. Ce que j’ai vécu est indicible. Mon corps est encore ici, mais mon âme se prépare déjà à un nouveau départ, à un nouvel exil, à une souffrance de plus qui s’ajoute à la liste de nos douleurs accumulées depuis 675 jours de guerre.

C’est comme si l’exil était devenu notre destin, et la mort notre ombre qui ne nous quitte jamais.

Un nouveau chapitre de douleur

PHOTO : Sarah Emad.

Mais mon histoire avec la guerre n’est pas terminée. Les épisodes de souffrance se succèdent sans fin. Il y a cinq mois, j’ai été forcée de quitter mon foyer, et aujourd’hui, la même douleur se répète alors que nous sommes obligés de déménager une fois de plus sous le feu et la mort.

À 19 h 45, le 11 août 2025, au coucher du soleil, le soleil des obus s’est levé dans le ciel de notre ville. Les explosions pleuvaient sur les vitres comme des gouttes de pluie, mais chacune semait la mort. Une épaisse poussière étouffait l’air, et les cris des enfants se mêlaient aux cris des voisins terrifiés et aux gémissements des blessés, transformant chaque bruit de notre quartier en un écho de peur et de terreur. Nous, toute la famille, étions réfugiés chez mon oncle, notre abri en ces temps de guerre. Mon père et mon frère étaient sortis au marché pour chercher de quoi manger. À leur retour, à peine avaient-ils franchi la porte que les bombardements ont commencé. Mon frère Mohamed a été blessé à la jambe, sous nos yeux, alors que le chaos et la mort s’abattaient autour de nous. Nous avons miraculeusement quitté la maison de mon oncle. Mes frères et moi étions séparés. Mon père, ma mère et mon frère blessé étaient sur une route, tandis que nous en empruntions une autre. Les blessés et les martyrs gisaient au sol, appelant à l’aide, et les habitants étaient coincés dans l’immeuble d’en face. Toutes ces scènes défilaient devant nos yeux tandis que nous courions, lorsque l’endroit fut à nouveau bombardé. Les bruits se mêlèrent à un chaos accablant, puis un lourd silence s’installa. Notre survie tenait du miracle. Nos cœurs battaient à une vitesse inhabituelle.

Chaque pas était une tentative d’échapper aux obus qui nous poursuivaient, tandis que les sirènes des ambulances et des véhicules de la protection civile accompagnaient la scène. Tout cela s’est déroulé en un instant, et nous avons survécu une fois de plus par miracle. Nous avons marché pendant deux heures avant de rejoindre mon père et ma mère au refuge de mon oncle Iyad. Tous ceux qui étaient dans la rue nous regardaient avec étonnement, demandant : « D’où venez-vous, déplacés ? ». Nous avons passé la nuit dans le petit appartement de mon oncle, bondé de déplacés : 34 personnes dans un espace étroit, déjà endommagé par les bombardements précédents.

Mais le matin n’a pas apporté la sécurité, seulement une nouvelle souffrance. Nous sommes passés d’un refuge à un autre, cette fois vers la tente de ma sœur au port. Les visages autour de nous reflétaient la même stupeur et la peur, comme si nous partagions tous un rendez-vous permanent avec la mort, oscillant entre de courtes minutes de terreur et de brefs instants d’espoir. Nous avons été contraints de fuir Gaza, démunis, ne possédant rien d’autre que notre espoir de revenir, peut-être sur les ruines de notre maison détruite à Choujaïa, après les ordres d’évacuation. La situation est catastrophique dans la ville de Gaza, à Al-Zeitoun et à Sabra.

Les démolitions et les bombardements s’intensifient. Depuis 681 jours, nous passons d’une maison à l’autre, d’une tente à l’autre, portant notre peur sur nos épaules et essayant de protéger ce qu’il reste de nos vies. À Gaza, le déplacement n’est pas un événement exceptionnel, mais une vie entière vécue entre un obus et l’autre, entre perte et survie, entre cris, pleurs et un petit espoir qui éclaire l’obscurité.

Cette vie sans répit sous les bombardements nous apprend la patience et transforme chaque jour de survie en un petit miracle, chaque instant de sécurité en un précieux cadeau, nous rappelant que rester en vie, malgré tout, est le seul espoir que les obus ne peuvent nous enlever.

Ce n’est pas nous. Ce n’est pas la Gaza que je connais. C’est la Gaza où Israël commet un génocide. Le monde regarde… mais qui répondra ? Qui saura mettre fin aux scènes d’horreur qui s’y déroulent ?