Ce mardi 19 août, sept militant•es d’Extinction Rebellion passaient en procès à la suite d’une action pacifique menée le 14 juin 2025. Ce jour-là, pendant une manifestation pour Gaza, les activistes ont vêtu la Statue de la République d’une chasuble au couleur de la Palestine avec l’inscription « FREE GAZA ». Arrêté•es par la police après de nombreuses heures passées pour les déloger, ils et elles ont été mis•es en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui », « rébellion en réunion contre personnes dépositaires de l’autorité publique », « refus de se soumettre à des relevés signalétiques » et, pour un des prévenus, refus de transmettre le code de déverrouillage d’un téléphone. L’audience a duré 7 heures.
« La surprise, c’était ce gilet. »
Pour C., 24 ans, ce moment de communion militante non-violente a tourné au drame « Ce geste a une saveur particulière pour moi : ce jour-là, mon ami Mohammed, qui est arrivé de Gaza il y a quelques mois, qui a survécu, vient pour la première fois en manifestation pour la Palestine. On devait marcher ensemble, mais avant ça, je lui avais dit qu’il y aurait une surprise pour lui. La surprise, c’était ce gilet. »
Suite à cette action, les activistes ont dû faire face à plusieurs dizaines de policiers, envoyés pour les déloger de la statue, ont subi une interpellation violente et une garde à vue prolongée. À la suite de cette garde à vue, les sept militant•es se sont retrouvé•es sous contrôle judiciaire strict sans possibilité de contact, de manifester ou de se rendre place de la République.
Pendant plus d’une heure les conseils des prévenu·es ont fait état des nullités qu’ils ont observé sur toute la procédure. Parmi elles : le fait que l’infraction de dégradation ne soit pas retenue, le fait qu’une telle action pacifique avait déjà eu lieu, et le fait que l’arrestation des sept personnes a été traitée comme un groupe et non individualisé administrativement. Maître Servane Meyniard a expliqué que malgré ses précautions, elle n’a pas eu le droit de s’entretenir avec un de ses clients au moment de son déferrement. De son côté, Maitre Alexis Baudelin a fermement insisté sur ce qu’il désigne comme une « ingérence au pénal de l’État français » concernant les relevés d’empreintes et le déverrouillage du téléphone. C’est une « inconventionnalité » face au droit européen qui a un cadre strict, ce qui est loin d’être le cas du droit français dont « l’objectif de fichage systématique et le contrôle des opposants politiques » profite à l’Etat.
L’intervention du GRIMP pour déloger les activistes
D’après les fiches de mise à disposition, les fouilles téléphoniques de policiers, les compte-rendu des caméras de vidéosurveillance de la ville de Paris interprétées par la Police et le procès verbale d’ambiance, les militant•es écologistes auraient refusé de descendre de la statue. Les policiers affirment que cette « résistance » en hauteur les aurait obligés à appeler les pompiers, seuls habilités à intervenir en hauteur. C’est alors qu’ils les accusent de s’être débattu•es, d’avoir retiré des sangles, ou tenté de mordre un policier.
La Présidente ajoute que la ville de Paris a déposé plainte en reconnaissant qu’aucune dégradation n’avait été commise sur la statue. Les militant•es le savaient, puisque ce n’est pas la première fois que la Marianne est couverte symboliquement d’une chasuble et jamais les grimpeur•euses n’avaient été inquiété•es. Cette fois, les activites dénoncent une répression spécifique de leur action pour son but : dénoncer le génocide à Gaza et pointer la responsabilité des industries d’armement françaises, dont certains cas ont été épinglés ces derniers mois par le média Disclose. Devant le tribunal, ce mardi, un dispositif de près de 200 policiers armés, cagoulés et casqués est déployé par la préfecture. « Pourquoi pour la Palestine on peut interpeller alors que par 14 fois auparavant une chasuble avait déjà été posée ? C’est donc une décision politique » plaide Maitre Baudelin.
« Je préfère prendre cette hauteur qu’être confronté à la violence de ces policiers. »
Un•e des prévenu•es vêtu·e de deux keffieh, rouge sur les épaule et noir autour de la taille, raconte à la barre sa version des faits. « Quand ils arrivent, je leur tourne le dos, et je vois les yeux de Mohammed, je vois l’incompréhension, la colère, la tristesse, la peur pour moi, et j’ai tellement honte. Tellement honte de mon pays, dont je voulais lui montrer le bon côté, pas celui de notre gouvernement qui se rend complice de ce qu’on fait à son peuple, mais celui de mon peuple qui montre son soutien inconditionnel à l’autodétermination des palestiniennes et des pzalestiniens. Et tout s’effondre. Je ne comprends plus, je suis tellement triste, immensément triste, et honteuse. »
« Comment voulez-vous qu’on accepte de descendre ? on a à faire à des gens qui n’ont pas d’humanité et ne font qu’obéir à des ordres. »
N., 31 ans, à qui il a été refusé de rentrer dans la salle avec son t-shirt « Free Gaza », témoigne à la barre : « J’affiche mon soutien avec le peuple palestinien et dénonce un génocide reconnu par Amnesty International… » avant d’être coupée par la présidente. La jeune femme a insisté pour rappeler que plus de 250 journalistes ont été assassiné•es et 18 000 enfants tué•es par l’armée israélienne depuis le 7 octobre 2023, et insiste sur la famine et le manque de soin organisés par Israël. Elle a conclu son audition en disant son incompréhension face à la situation : « pourtant c’est moi qui suis devant vous pour dénoncer ces crimes de guerre »
Pour l’accusé qui avait refusé de donner le code de déverrouillage du téléphone, « les forces de l’ordre ont créé cette situation qui nous a mis en danger. […] j’ai porté plainte auprès de l’IGPN. Un policier m’a dit qu’il allait m’étrangler jusqu’à ce que je m’endorme. J’ai subi une clef de bras douloureuse. J’ai supplié le policier, ce qui paraissait l’amuser, et j’ai accepté de me rendre »
« Si c’était à refaire, je le referai. »
F., un autre accusé, habitué à grimper sur l’édifice affirme de son côté que « s’il y a des violences ce n’est pas nous, la statue était nassée avec un effectif de plus en plus important, en surnombre, notamment par la BRAV-M, connue pour sa violence. Des militants sont venus nous apporter de la nourriture c’était un moment de communion. Essayer de se débattre quand on a une sangle autour du torse n’est pas disproportionné, j’essayais de soulager le poids »
P. lui, revendique la légitimité de son action : « Je préfère prendre cette hauteur qu’être confronté à la violence de ces policiers. Je me suis tenu fortement au monument vu la hauteur. » Il a clos les prises de parole en rendant hommage à son camarade d’Extinction Rebellion, François. Ce dernier avait participé au déploiement une écharpe de 12 mètres aux drapeaux multicolores sur la même Marianne le dimanche 1er mai 2022. L’homme qui était très engagé dans la lutte en faveur de l’accueil des exilé·es et le soutien aux peuples opprimés s’est suicidé en janvier 2023.
« La Palestine appelle l’humanité à l’aide. »
Puis Imane Maarifi, infirmière humanitaire qui s’est rendue à Gaza lors du premier convoi de l’organisation Palmed Europe en Janvier 2024, a pu témoigner à la barre des horreurs qu’elle a vu et des souffrances endurées par les gazaoui·es, en donnant un exemple terrible : « J’ai promis à la dépouille d’Abeer que je parlerai d’elle. Abeer était enceinte et diabétique, et à cause de son manque d’insuline, sa petite fille est morte intra-utéro. Abeer est décédé le lendemain… J’ai honte d’être là aujourd’hui. Je remercie les militant•es d’amener au débat. Ce qu’on nous reproche, c’est simplement d’être humains. La Palestine appelle l’humanité à l’aide. »
« Leur seule arme, leur corps »
L’avocat de la partie civile, qui représentait le brigadier victime d’une tentative de morsure, explique qu’au préjudice d’une blessure superficielle son client, absent du procès, celui-ci demande 600 euros aux activistes. Il a longuement insisté sur des militant·es qui auraient « résisté violemment », arguant que le simple fait de ne pas obtempérer était une forme de rébellion : « à partir du moment où on donne l’ordre, il faut s’y soumettre ». Ce que Maitre Baudelin, avocat des militant•es écologistes, nuance dans sa plaidoirie : « la rébellion écarte tout acte de résistance passive »
Pour le Procureur, « en ce qui concerne la mise en danger, les faits reprochés ne sont pas caractérisés, l’intervention du GRIMP bien que périlleuse rentrait dans le cadre de leur travail ». Il retient toutefois les faits de rébellion sur trois des prévenu·es pour avoir « tenté de repousser un fonctionnaire et s’être débattu au moment de sangler »
Concernant les prévenu·es : « Ils ont un des parcours différents mais une cause commune, sont parfaitement inséré·es dans la société et ne sont pas des menaces pour la société. » Il conclue : « il faut passer outre l’impossibilité de se comprendre » entre le monde militant et la justice, il ne voit aucune objection à ces actes militants « mais cela doit se faire dans les limites et le cadre de la loi ». Il requiert 100 jours-amende à 10 euros pour 3 prévenu·es et 500 euros d’amende pour les autres ainsi que la restitution du téléphone mis sous scellé.
« Vous avez là un cri d’indignation contre un état policier qu’il devient urgent de mettre à bas. La violence n’a jamais été du côté de ces personnes. Elles étaient assises en cercles, les bras les uns dans ceux des autres, et elles ont fait obstacle à une politique de terreur avec leur seule arme : leur corps »
Les avocats de la défense ont demandé la relaxe des 7 activistes. La décision sera rendue le 10 septembre prochain.
Le gouvernement israélien a récemment annoncé vouloir contrôler totalement la ville de Gaza et a rappellé 60 000 réservistes supplémentaires. Depuis le 7 octobre 2023, plus de 62 000 palestinien•nes ont été tué•es par l’armée israélienne selon le ministère de la santé de Gaza. Mais ce chiffre pourrait en réalité être bien plus élevé. Le 22 août dernier, l’ONU a officiellement reconnu la famine à Gaza. Une famine qui « aurait pu être évitée » sans « l’obstruction systématique d’Israël »,le chef des opérations humanitaires des Nations unies, Tom Fletcher.
Photo de couverture : Sabrina Djellal.