Préparer le 10 septembre : à Lille, une première assemblée populaire réunit 90 personnes un vendredi soir férié.

“C’est marrant, on regarde les gens passer et on se demande s’ils sont avec nous ou pas”. Ce vendredi, une assemblée populaire s’organisait à Lille pour discuter des modalités d’une mobilisation le 10 septembre prochain. Nous y étions.

18 heures, alors que quelques personnes commencent à se retrouver au parc Jean-Baptiste Lebas, en plein centre de Lille, on cherche du regard les potentiel·les participant·es dont on ne connait que les pseudonymes Telegram pour la plupart, pour très peu leurs visages. Il y avait quelque chose de l’ordre du secret, mais de très humain à la fois.

Parmi les premier·es arrivant·es, on retrouve quelques militants de la CGT et des gilets jaunes lillois·es. “Dès que j’ai appris pour la date du 10, j’ai posé un congé direct !”, nous dit fièrement l’un d’entre eux. “Ça doit venir d’en bas !” insiste un autre, qui revient sur les craintes d’une récupération politique qui faisait déjà débat à l’époque des Gilets Jaunes.

18h15, un jeune journaliste de RTL s’approche et se présente. Il demande à la petite assemblée qui commence à se réunir s’il lui est possible d’assister au rendez-vous et d’interroger quelques personnes. Il sait que les grands médias sont généralement mal vus dans les mobilisations populaires. Très vite, un débat s’en suit. “Je parle en mon nom, mais depuis 2018, les journalistes, c’est zéro !”, témoigne un gilet jaune de la première heure. “C’est vous qui avez besoin de nous, vous espérez juste filmer des poubelles qui prennent feu. Je suis là tous les samedis, si je brûle une bagnole, là, les journalistes vont tous venir !”.

« Je suis là tous les samedis, si je brûle une bagnole, là, les journalistes vont tous venir ! »

Le journaliste de RTL répond : “Je suis d’accord avec vous, mais un des ces quatre, vous aurez besoin des médias”. Un autre gilet jaune le reprend : “Ce que je reproche aux médias, aux gros médias, c’est que vous ne relayez pas nos actions”.

Le débat est vif, mais respectueux. Il est surtout important : le traitement des luttes sociales dans les grands médias n’est pas toujours à la hauteur et la concentration des grands journaux, radios, chaines de télévision, entre les mains de quelques milliardaires y est pour beaucoup dans toute cette méfiance justifiée.

Le journaliste de RTL s’en va, comme un journaliste de l’AFP après lui dont l’assemblée populaire qui commence tout juste à se réunir vote à la quasi-unanimité son exclusion. Ne reste alors, en présence médiatique, qu’un confrère de Calais la Sociale et moi-même, appartenant à des médias indépendants solidaires du mouvement social.

18h45, l’assemblée populaire est à son complet, environ 90 personnes réunies en rond sur le bitume du parc Jean-Baptiste Lebas. C’est là que tout commence. Un militant de la CGT se lève et se propose pour prendre les tours de parole : “On est tous des camarades qui se battent contre la Macronie, donc je vous appellerai camarades”.

Le gouvernement a très très peur du 10 septembre. Si on bloque tout, ils vont pas se gaver sur notre dos !

Très vite, les discussions s’enchainent. Plusieurs personnes y vont de leurs verbes cinglants à l’égard du gouvernement et de Macron, en particulier les gilets jaunes alignés sur le même banc où je suis assise. Un fait significatif : cette assemblée semble réunir à la fois des militant·es “aguerri·es” et habitué·es aux mobilisations sociales, mais aussi de simples citoyen·nes peu habitué·es à ce genre de rencontre, davantage inscrit·es au quotidien dans des initiatives associatives locales voire complètement isolé·es et qui décident enfin de se mettre en mouvement.

Une femme se lève et crie : « On est pas seuls, toute la France se mobilise. L‘Élysée va dégager. Le gouvernement a très très peur du 10 septembre. Si on bloque tout, ils vont pas se gaver sur notre dos. Qu’ils dégagent, j’ouvre la porte et je leur dis : qu’ils dégagent. Le gouvernement fait en sorte qu’on soit désunis, ne les écoutez pas« .

L’union ! L’union ! L’union !”. C’était bien là le marqueur fort de cette première rencontre, où chacun·e était conscient·e des étiquettes politiques parfois différent·es des un·es et des autres.

Depuis 7 ans, nos libertés publiques ont été attaquées, on l’a vu avec le covid. Il faut que le peuple se réveille. C’est nous qui allons créer la chose. Il y a un grand besoin d’écoute pour les uns les autres. D’une œuvre de résistance comme dans les années 30. La perspective pour les jeunes aujourd’hui, c’est la guerre. On stigmatise ceux qui n’ont pas d’emploi, mais on connait les chiffres de la fraude fiscale : c’est des centaines de milliards ! On a envie de retrouver un peu de joie au cœur”, affirme un des participants à cette première assemblée populaire.

On stigmatise ceux qui n’ont pas d’emploi, mais on connait les chiffres de la fraude fiscale : c’est des centaines de milliards !

D’autres insistent sur la nécessité de l’action : “On est tous d’accord sur le mot d’ordre, maintenant stratégiquement comment on fait ? On parle de préavis de grève, il faut que les travailleurs et travailleuses s’organisent. On a une date et un mouvement qui médiatiquement a un impact symbolique, maintenant il faut s’organiser ! »

Plusieurs idées se mettent alors en place : tractages, blocages, et manifestation, comme celle prévue par la CGT le 10 septembre à 14h30, départ porte de Paris à Lille, ou à Dunkerque, départ à 14h30 place de la gare.

Le grand point marquant de cette première assemblée, c’était sa diversité de classe : travailleurs·es, étudiant·es, chômeurs-ses et retraité·es d’âges différents. Et au-delà des différences de points de vue sur la stratégie à mener, tout le monde se met d’accord sur une chose : le budget annoncé le 15 juillet dernier par le premier ministre François Bayrou est inacceptable, il faut un mouvement social capable de faire reculer le gouvernement. Et pour cela, l’important, c’est déjà de se retrouver. Construire le 10 septembre et au-delà. C’était l’idée principale derrière cette première assemblée populaire. D’autres devraient suivre et d’ici là, un canal Telegram existe sur lequel les personnes intéressées peuvent s’organiser dans toute la France. Pour connaitre le lien, rendez-vous sur le site du collectif “Indignons-nous”, qui coordonne les boucles Telegram de discussions.