Un journal personnel sous le génocide : « Comment survit-on lorsque chaque jour ressemble à un enfer sans fin ? »

5eme numéro du journal personnel de notre correspondante à Gaza, la jeune journaliste Sarah Emad. Alors qu’un accord de cessez-le-feu vient d’être signé entre Israël et le Hamas, elle essaie d’imaginer la suite.

« Quand la guerre prendra fin, nous pourrons enfin pleurer » : joie et appréhension à Gaza alors que le cessez-le-feu entre en vigueur.

S’imaginer vivre chaque jour sous le poids de la mort, puis sentir enfin un souffle de paix… c’est ce que connaissent aujourd’hui les habitants de Gaza après deux années d’horreur

700 jours sous le poids de la mort : Gaza respire enfin.

Sept cents jours à survivre, à compter les bombes, les noms, les absents. Sept cents jours où chaque souffle était un défi. Nous avons appris à vivre sans lumière, à cacher la peur derrière le silence.

Gaza n’a pas seulement été détruite, elle a été étouffée, effacée, et maintenant elle sera reconstruite par ses enfants qui ont survécu et ont refusé de mourir.

Et aujourd’hui, enfin, un souffle.

Un souffle que l’on accueille comme on accueille la vie après la noyade.

Enfin un souffle de vie

Après cette annonce, j’ai ressenti le besoin de prendre le temps de me remettre, de pleurer pour tout ce que nous avons perdu. Nous en avons assez des tueries quotidiennes. Nous avons tout perdu. Il ne reste rien maintenant, sauf nos âmes et ce qui reste de nos familles. Je veux les serrer dans mes bras et me dire que ça suffit. La guerre est finie et elle ne recommencera pas.

Cette trêve n’est pas juste un arrêt des bombes, c’est une pause méritée après une longue bataille, un souffle pour nos corps épuisés, pour nos cœurs brisés, pour nos âmes qui ont survécu à l’enfer. Après deux ans de cauchemar, c’est le moment où Gaza reprend son souffle et où nos vies peuvent commencer à se reconstruire, même un peu.

Gaza renaît, pas à pas

Pendant ces deux années, j’ai vu notre ville réduite en ruines, nos souvenirs effacés par la peur et la mort, et nos cœurs pleurer chaque visage perdu. Mais malgré tout, le désir profond de Gaza n’a jamais disparu. Enfin, après tant de souffrances et de déplacements, la vie et la chaleur de nos âmes reviennent dans nos corps fatigués. Enfin, cette longue attente touche à sa fin : un moment de paix que nous avons espéré pendant si longtemps.

Et ce matin-là, Gaza s’est réveillée autrement.

Plus de bombes. Aucun son de destruction, aucun mort dans les rues, aucun cri de peur, aucune trace des avions furieux venus pour nous tuer. Les habitants sortent, comme des enfants un matin de fête, hésitants, le cœur encore serré par deux années d’angoisse. Sous la poussière et les larmes, nos visages racontent la fatigue et la douleur, mais aussi ce sourire timide qui refuse de disparaître : celui de ceux qui ont survécu à l’enfer et qui sentent, pour la première fois depuis longtemps, que la vie reprend ses droits.

Maintenant, je peux aller partout sans craindre que l’endroit où je me trouve soit ciblé ou menacé. Je peux sortir tard avec mes amis, marcher dans les rues la nuit, visiter mes proches et vivre chaque instant sans peur constante de mourir.

Ce n’est pas une fête comme les autres, ce n’est pas un jour de triomphe, c’est l’étrange, précieux et fragile sentiment d’un peuple qui respire enfin.

Aujourd’hui, il y a une réelle opportunité de se relever, de retrouver ce qui nous a été arraché, de reconstruire et de revendiquer notre droit à la vie, à la dignité et à la sécurité. Chaque respiration, chaque rire retrouvé dans les rues de Gaza est une victoire sur la peur et sur la mort et l’extermination qui a voulu nous effacer.

Je n’écris pas seulement sur la guerre. J’écris sur Gaza, sur notre résilience, sur nos cicatrices et sur ce désir profond qui refuse de mourir, même après les nuits les plus sombres. Aujourd’hui, nous pouvons enfin dire : Gaza respire, et nous aussi.

Et vous, comment imaginez-vous le premier souffle de paix après deux ans d’enfer ?

Photo de couverture : Forced Displacement of Palestinians in the Gaza Strip devastated by Israeli bombing, January 29, 2025. Jaber Jehad Badwan, CC BY-SA.