Notre vie à Gaza est terminée pour toujours.
J’ai perdu l’envie de tout faire… d’écrire, d’expliquer, de publier quoi que ce soit !
Il n’y a plus rien à dire, plus rien à écrire. Les mots nous ont trahis comme le monde nous a trahi. À Gaza, la vie elle-même a disparu. Ce n’est pas une image, ce n’est pas une exagération : c’est une vérité brute. Nos journées ne sont plus faites de projets, mais de survie. Nos nuits ne sont plus habitées par des rêves, mais par des cauchemars répétés.
Nous avons perdu bien plus que nos maisons détruites et nos rues anéanties par les bombardements. Nous avons perdu l’élan intérieur qui pousse un être humain à continuer de vivre. Le désir d’écrire, de chanter, même de sourire, s’est éteint. Ici, chaque respiration est lourde, chaque pas est une lutte. Nous existons encore physiquement, mais nous ne vivons plus vraiment.
Chaque matin, si l’on peut encore appeler cela un matin, nous nous posons la même question : sommes-nous encore vraiment en vie ? Où aller si la maison voisine est bombardée ? Où trouver de l’eau, un morceau de pain ? Et lorsque nous survivons à la faim et au froid, c’est l’absence qui nous tue. L’absence des voix familières, des visages aimés, des enfants dont les rires ne résonnent plus dans les rues.
Comment pleurer ceux qu’on aime ?

Hier, la guerre nous a arraché le petit Elias. Un enfant qui n’a connu que la guerre, né dans ce chaos, qui y a grandi et y est mort avant de voir la beauté de la vie. Ses yeux n’ont jamais capté autre chose que le bruit des bombes et la poussière. Elias n’est pas seulement un nom : il symbolise chaque enfant dont l’innocence a été volée, chaque famille qui a perdu une partie de son âme, chaque cœur brisé à Gaza.
Le monde nous observe à travers des écrans, réduit à des chiffres et des statistiques quotidiennes. Mais derrière chaque chiffre, il y avait une histoire : une grand-mère préparant le thé, un père racontant une histoire, un enfant rêvant de jouer au football. Tout cela a disparu. La guerre n’a pas seulement détruit des bâtiments, elle a arraché les racines de nos vies.
Ce qui est le plus cruel n’est pas seulement la mort qui nous entoure, mais ce sentiment que la vie elle-même est devenue impossible.
Les tours tombent, et avec elles, la mémoire de Gaza
Hier, ils ont défiguré Gaza en bombardant la Tour Mushta, et aujourd’hui c’est la Tour Al-Soussi qui tombe sous les décombres et les flammes. Chaque bâtiment détruit n’est pas seulement de la pierre : c’est un souvenir volé, un chapitre effacé de notre existence collective. Gaza perd ses pierres, ses repères, et avec eux une part de son âme. Le bombardement de ces tours est-ce une punition ? Où veulent-ils que ces gens aillent maintenant ? Que voulez-vous de Gaza après tout cela ? Chaque destruction n’efface pas seulement le béton, elle efface la mémoire, les vies, les rêves et l’espoir de milliers de personnes.
Ce qui est le plus cruel n’est pas seulement la mort qui nous entoure, mais ce sentiment que la vie elle-même est devenue impossible. Nous sommes réduits à des silhouettes errantes, des ombres parmi les ruines. Il n’est plus question d’avenir. Le mot lui-même semble étranger. Nous ne planifions plus rien, nous n’attendons plus rien. Il ne reste plus rien pour nous rappeler l’avenir, ce qu’il est, comment nous le préparons. Le reste de notre vie ne tient qu’à un fil, celui que l’occupation décidera peut-être de couper un jour. Avons-nous le droit de penser ? Oui, notre vie est terminée pour toujours. Non pas parce que nous avons cessé de respirer, mais parce que la guerre nous a volé le désir même de vivre. Nous marchons encore, mais nous ne vivons plus.
Et vous, que feriez-vous si l’on vous volait jusqu’au désir de vivre, si les monuments de votre ville disparaissaient pierre par pierre, et si vos enfants disparaissaient avant même d’avoir découvert la vie ?
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Photo de couverture : Sarah Emad