Quelle différence y a-t-il entre mourir sous les décombres à Gaza et mourir de faim ou sous les balles au Soudan ?
Aucune, sinon la direction vers laquelle se tourne le regard du monde.
Miroirs de la souffrance
Depuis Gaza, où la poussière du siège s’infiltre jusque dans les rêves, je regarde les images du Soudan. Des villes éventrées, des hôpitaux réduits au silence, des familles errantes. Et je me demande : combien de fois faudra-t-il que la douleur se répète pour qu’elle devienne audible ? Combien de peuples devront s’effondrer avant qu’on reconnaisse la même main, le même système d’indifférence, la même mécanique du mépris ?
À Gaza, nous apprenons à survivre à la faim, à dormir dans le bruit des drones. Au Soudan, ils apprennent à fuir, à se dissoudre dans des routes de poussière et de peur. Nous partageons le même vide, la même fatigue de crier dans un monde sourd.
À El-Fasher, les rues ne sont plus que des chemins de terre jonchés de corps et de débris. Les enfants marchent pieds nus sur les gravats, le regard vide, tandis que le cri des femmes résonne entre les maisons détruites. Chaque coin de la ville raconte l’horreur : des familles entières massacrées, des cadavres laissés sur le passage, des marchés et des écoles transformés en tombeaux.
La faim et la soif s’ajoutent à la peur constante des tirs et des bombardements.
Les hôpitaux sont vides, les médicaments inexistants, et chaque pas peut être le dernier.
Personne ne parle de El-Fasher. Personne ne voit ces massacres. Et pourtant, le sang coule de la même manière qu’à Gaza, la douleur est la même, et l’indifférence du monde est un poison silencieux qui tue autant que les armes.
Ce que je vois, ce n’est pas seulement deux tragédies parallèles. C’est une seule carte de la souffrance, déchirée par les frontières mais cousue par la même violence.
Quand le silence du monde devient complice
« Géopolitique », « crises régionales » derrière ces mots froids, il y a des corps, des maisons effondrées, des vies volées. Les enfants hurlent, les mères pleurent, les pères portent des cadavres sur des routes brûlantes. Chaque souffle est une lutte, chaque coin un piège mortel. Et le monde détourne le regard.
Mais nos douleurs se reconnaissent. Les cris des femmes de El-Fasher résonnent comme ceux des mères de Rafah : des voix brisées par la peur, les blessures et la perte de leurs enfants. Elles pleurent dans le silence des rues dévastées, portent les cadavres de leurs proches, marchent sous le soleil brûlant avec la faim et la soif au ventre. Les fleuves de sang finissent par se rejoindre.
Le combat de Gaza et celui du Soudan ne sont pas isolés. C’est un seul combat pour la dignité, pour la vie, pour la reconnaissance des oubliés.
Et de cette reconnaissance naît une vérité : il n’y aura pas de paix isolée, pas de libération partielle. Car le combat de Gaza n’est pas seulement celui de la Palestine. Il est celui de chaque peuple qu’on veut effacer, pour chaque voix qu’on veut réduire au silence. Et le combat du Soudan, c’est aussi le nôtre : celui des oubliés qui refusent de disparaître. Nous sommes liés par le même souffle, par la même soif de dignité.
Et tant que le monde hiérarchisera les vies, nous rappellerons que la liberté n’a pas de frontière.
La libération de la Palestine est indissociable de la libération du Soudan.
Parce qu’aucun peuple n’est libre tant qu’un autre est enchaîné.
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Photo de couverture : Louise Bihan.